Contribution de la Coordin’action Nationale des Associations de l’Habitat Participatif lors de la Conférence de consensus sur le logement
L’habitat participatif est reconnu par la loi en qualité de « démarche citoyenne (…) mettant en valeur les espaces collectifs dans une logique de partage et de solidarité ».
Cette innovation sociale renouvelle les mécanismes de production du logement en plaçant les habitants comme acteurs principaux de leur projet, co-responsables de la gestion commune d’espaces de vie partagés (par exemple : salle commune, chambres d’amis partagées, buanderie, ateliers, espaces extérieurs…), supports d’une vie de proximité choisie. Les habitant.e.s associé.e.s aux projets d’habitat participatif témoignent d’évolutions et enjeux sociétaux et contribuent à des réponses collaboratives et écologiques : renforcement du lien social, pratiques écoresponsables, préservation de l’environnement, accompagnement citoyen du bien vieillir, logement abordable et mixité des conditions d’accès, urbanisme économe en foncier et formes urbaines conviviales… Cette nouvelle forme d’habitat peut être un formidable allié de politiques publiques en permettant de créer un cadre de vie de qualité, humain et accessible, proposant un processus vertueux vecteur de démocratie participative et de cohésion sociale.
La Coordin’action nationale de l’habitat participatif est une union de 14 associations françaises qui a pour objectif d’animer le mouvement de l’Habitat Participatif en France, de rendre visible la diversité des projets et de favoriser le développement de l’Habitat Participatif sur l’ensemble du territoire français. Via ses associations membres, la Coordin’action est en lien avec plus de 300 projets ou réalisations d’habitats participatifs. Elle a initié et pleinement contribué à l’élaboration de l’article 47 de la loi ALUR reconnaissant les sociétés d’habitat participatif, ce qui était une demande historique de notre mouvement.
Si, avec aujourd’hui plus de 600 projets en cours ou réalisés dont une centaine montés en partenariat avec un organisme de logement social, nous nous félicitons de ce que le développement de l’habitat participatif se poursuive avec vigueur, nous souhaitons attirer l’attention du Ministère sur deux points qui nous paraissent essentiels pour parvenir à un changement d’échelle : résoudre les quelques difficultés qui empêchent encore l’utilisation des sociétés d’habitat participatif créées par la loi ALUR d’une part, et mieux assurer la possibilité d’intégrer la mixité sociale dans l’ensemble des projets d’habitat participatif d’autre part.
Permettre la mise en oeuvre des sociétés d’habitat participatif
Sortir de l’impasse de la garantie financière
L’article 47 de la Loi ALUR crée deux types de société d’habitat participatif (SHP) : les sociétés d’autopromotion et d’attribution (SAA) et les coopératives d’habitants. Ces deux sociétés sont soumises à une obligation de garantie financière :
« Art. L. 200-9.- (…) Chaque société doit également justifier, avant tout commencement de travaux de construction, d’une garantie permettant de disposer des fonds nécessaires à l’achèvement de l’immeuble, dont la nature et les modalités sont définies par décret en Conseil d’Etat. »
Les conditions d’application de cette garantie financière ont été précisées par le Décret n° 2016-1433 du 24 octobre 2016. Nous constatons cependant – avec les services de la DHUP ayant un temps travaillé sur cette question – qu’aucun organisme financier n’accepte aujourd’hui d’accorder ce type de garantie, en raison d’une part de la difficulté à évaluer le taux de sinistralité et d’autre part du trop faible nombre de projets. A défaut de pouvoir souscrire à cette garantie, les SHP sont dans l’impossibilité d’expérimenter l’autopromotion en pratique.
Nous demandons à ce qu’une solution soit plus activement recherchée (notamment en lien avec la CDC si le secteur privé est défaillant) pour permettre aux SHP de souscrire à cette garantie rendue obligatoire par la loi, ou à défaut, que l’obligation de souscrire une telle garantie pour les SHP soit supprimée.
Instaurer l’égalité de traitement dans l’accès aux financements des sociétés d’habitat participatifs
De nombreux foyers voulant habiter des habitats participatifs ressortent, en fonction de leur situation sociale (plafonds de revenus), de dispositifs d’accès au logement de droit commun.
S’ils engagent des démarches de façon individuelle, des prêts liés au locatif social (ainsi PLAI-PLUS-PTZ) ou à l’accession aidée sociale (ainsi PSLA, PTZ) peuvent être mis en oeuvre par les opérateurs des programmes qu’ils habiteront.
Si ces foyers s’associent dans une société d’habitat participatif, les prêts et dispositifs dont ils bénéficieraient individuellement ne peuvent à ce jour être mis en oeuvre dans le cadre collectif de la SHP. Il est donc nécessaire de veiller à l’élargissement de tous les dispositifs pour y intégrer les formes de propriété sociétaire des résidences principales.
Les SHP sous forme de Sociétés d’attribution et d’autopromotion (SAA)
Lorsqu’une SAA inscrit dans ces statuts qu’elle attribue les logements en attribution en jouissance (ce qui correspond à un maintien de la société dans le temps afin de pérenniser la condition de résidence principale et la Charte de fonctionnement de l’immeuble avec ses lieux de vie collective) alors les instructeurs des dispositifs tels les PTZ, les PSLA et les autres aides à l’accession demandent que la SAA inscrive dans ses statuts l’attribution en propriété, ce qui correspond à sa dissolution.
Les foyers futurs accédants qui ont droit à ces aides et qui usent de leur liberté d’accéder au logement en qualité d’associé d’une société d’habitat participatif soit renoncent à leur projet soit sont conduits à constituer une banale copropriété contre leur gré.
Les SHP sous forme de Coopératives d’habitants
Les coopératives d’habitants visent quatre objectifs majeurs : la propriété collective, la non spéculation, la démocratie interne (vote coopératif) et le logement abordable. Si les trois premiers points sont bien garantis par la loi ALUR, le quatrième point reste problématique. En effet, dans leur principe, les coopératives d’habitants se financent par un emprunt porté par la société, les habitants payant une redevance coopérative permettant ensuite de le rembourser. Le principal emprunt auquel les coopératives d’habitants précurseurs de la loi ALUR (montées en SAS coopérative) ont eu recours est le PLS (prêt locatif social). Celui-ci permet d’une part de bénéficier d’un taux de TVA réduit et d’un allongement de la durée des prêts, essentiels pour trouver un équilibre d’opération bénéficiant à des ménages sous conditions de ressources. Il autorise d’autre part la possibilité de bénéficier des garanties d’emprunt des collectivités locales, qui pour ce type de montage innovant conditionne encore souvent l’accès au crédit bancaire. Ce recours au PLS permet également aux communes carencées en logements sociaux de comptabiliser les logements créés par la coopérative d’habitants pour atteindre leurs objectifs fixés par SRU2.
La loi ALUR apporte une amélioration par rapport à l’existant puisqu’en créant le contrat coopératif, elle permet de lier le statut de sociétaire à celui d’habitant ; mais ce faisant, l’habitant perd son statut de locataire puisqu’il occupe dorénavant son logement en jouissance coopérative, pour laquelle il s’acquitte d’une redevance coopérative composée d’une fraction locative et d’une fraction acquisitive. Ce faisant, la coopérative loi ALUR sort du champ d’application du PLS, ce qui ne lui permet plus de proposer de logement abordable en zone tendue.
Nous demandons donc le rétablissement d’une égalité de traitement des coopératives d’habitants avec les autres formes de sociétés, qui pourra être trouvée soit par l’éligibilité des contrats coopératifs au PLS, soit par la création d’un prêt coopératif social ad hoc par la CDC.
Permettre la prise en compte de l’autoconstruction par les Coopératives d’habitants
La loi ALUR autorise la prise en compte de l’autoconstruction par les coopératives d’habitants dans la formation de leur capital social, ce qui permet à des personnes très modestes n’ayant pas ou peu la possibilité de souscrire des parts sociales en numéraire de devenir coopératrices. Nous sommes toujours en attente de la publication du décret d’application rendant cette possibilité effective.
Art. L. 201-13.-Des parts sociales en industrie, correspondant a un apport travail, peuvent être souscrites par les coopérateurs lors de la phase de construction ou de rénovation du projet immobilier ou lors de travaux de réhabilitation du bâti, sous réserve notamment d’un encadrement technique adapte et d’un nombre d’heures minimal. Le nombre d’heures constitutif de ces parts sociales en industrie est fixé en assemblée générale par vote unanime des coopérateurs. Ces parts doivent être intégralement libérées avant la fin desdits travaux et sont plafonnées au montant de l’apport initial demandé aux coopérateurs. Elles concourent à la formation du capital social et sont alors cessibles ou remboursables après un délai de deux ans a compter de la libération totale des parts, déduction faite d’un montant, réparti, correspondant aux coûts spécifiques engendrés par cet apport travail.
Un décret en Conseil d’Etat définit l’apport travail, ses conditions d’application et le nombre minimal d’heures. »
Assurer la mixité sociale dans l’ensemble des projets d’habitat participatif
Faciliter le logement social participatif
De plus en plus de projets d’habitat participatif se montent en partenariat avec un organisme de logement social, lequel porte la maitrise d’ouvrage de l’opération. Cette coopération, à même de préserver l’essentiel de l’habitat participatif dès lors que l’organisme HLM ‘joue le jeu’, permet de développer des programmes plus importants et d’introduire davantage de possibilités de mixité sociale, puisqu’en fonction du profil des habitants candidats à l’habitat participatif, l’organisme HLM pourra leur proposer d’être soit locataire (en PLAI, PLUS ou PLS selon leur niveau de ressources), soit d’accéder à la propriété (en PSLA ou VEFA, voire par l’intermédiaire d’une SCIAPP).
La compatibilité du financement du logement social avec la logique de l’habitat participatif pose cependant encore quelques difficultés.
Les lieux de vie collective
Les espaces partagés sont très peu comptabilisés dans l’assiette de financement des prêts du logement social, alors que ces espaces sont indissociables du concept d’habitat participatif..
L’implication des futurs locataires
Concernant l’implication des habitants dès le début du projet, des solutions sont explorées au cas par cas sur le terrain, à travers l’organisation de CAL de pré-attribution rassemblant tous les réservataires ce qui permet un préaccord de principe sur le choix des ménages présents dès la phase de programmation / conception du projet. La recevabilité des ménages au moment de la CAL de pré-attribution sera réexaminée au moment de la CAL définitive, ainsi que l’implication toujours effective de l’habitant.
Mais ces démarches peuvent être incomprises au long du processus d’agrément et de financement du programme, c’est pourquoi une circulaire permettant de mieux informer les DDT des enjeux et spécificités de l’habitat participatif monté en locatif social permettrait une égalité de traitement et serait à même d’ouvrir plus largement à tous cette façon de concevoir et de vivre son habitat.
Autoriser l’habitat participatif en locatif social en zone ANRU, QPV et ANAH
L’une des ambitions affichées par notre mouvement est de favoriser l’accès de tous les foyers qui le souhaitent à un habitat participatif. Les pratiques de voisinage respectueux et d’usage responsable d’espaces et équipements mutualisés sont des aspirations partagées dans tous les milieux, et pas moins dans les catégories populaires. Pour diversifier les approches de l’habitat participatif, élargir les approches culturelles et surtout financières, nous avons à coeur de démontrer que cette forme d’habitat tient ses promesses de vivre ensemble, y compris dans les quartiers où la cohésion sociale parait la plus menacée. Or ce type d’expérimentation, qui s’appuie généralement sur une coopération avec un bailleur social pouvant proposer du logement locatif pour les habitants du quartier, est rendue difficile par la nouvelle doctrine de l’ANRU qui interdit de développer de nouveaux programmes de logements en locatif social en zone ANRU ou QPV. L’objectif de cette politique est de contribuer à une plus grande mixité sociale au niveau du quartier en attirant des habitants plus aisés à même de devenir propriétaires ; mais ce faisant, elle éloigne la possibilité d’introduire de la mixité sociale au niveau de l’opération d’habitat participatif, ce qui concrètement empêche la majorité de la population de ces quartiers d’y avoir accès. Alors que l’habitat participatif pourrait être le lieu privilégié d’une vraie ouverture d’habitants intéressés originaires du quartier vers de nouveaux arrivants, il risque au contraire d’être perçu comme une greffe extérieure s’il ne trouve pas la possibilité d’intégrer les anciens habitants d’un logement social du quartier.
Un droit à l’expérimentation pourrait permettre de rouvrir la possibilité de proposer du locatif social en habitat participatif en zone ANRU / QPV pour tester réellement son potentiel de cohésion sociale sur ces territoires. Nous animons d’ailleurs une recherche-action, cofinancée par le CGET et l’USH.
Par ailleurs, le règlement de l’ANAH ne permet pas l’octroi de financements à une société dont les associés sont en situation de locataires ou assimilée. Certains projets montés en coopérative d’habitants dans des centres anciens dégradés de ville moyenne ne peuvent voir le jour pour cette raison.
Favoriser la mixité sociale dans les organismes de foncier solidaire (OFS)
La loi Alur a également créé un nouvel acteur foncier, l’organisme de foncier solidaire, destiné à favoriser l’accession sociale sécurisée par un mécanisme de dissociation pérenne entre le foncier et le bâti (art. 164). Un nouveau type de bail lui est spécifiquement dédié, le bail réel solidaire, lequel est réservé à des personnes sous plafonds de ressources.
La vocation non spéculative, collective et pérenne de l’OFS en fait un outil totalement compatible avec les valeurs et objectifs de l’habitat participatif, et ces OFS pourraient constituer une voie privilégiée pour développer de l’habitat participatif abordable en zone tendue.
Pour maintenir la possibilité de la mixité sociale, il nous semble cependant souhaitable que les habitats participatifs développés dans le cadre d’un OFS puissent s’ouvrir à des personnes hors plafonds de ressources. Aussi, nous suggérons que dans le cas d’un habitat participatif, il soit tenu compte de la moyenne des revenus de tous les habitants dans le calcul du plafond de ressources permettant de signer un bail réel solidaire.
Pour la Coordin’action, les porte-paroles :
François Desrues
Jean-Baptiste Dupont
Pete Kirkham
Le 8 février 2018
Légende photo : TERRA ARTE – 46 logements collectifs en Habitat Participatif
Architecte(s) : Atelier d’Architecture Duhourcau, Laure Prablanc
© Crédit : Vincent Monthiers