La question du logement et de l’habitat dans une société inclusive

Avis du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) sur le projet de loi ELAN

Le CNCPH, associé à la réflexion pour l’élaboration de la loi, en son article 17, a participé via sa commission accessibilité et conception universelle à plusieurs réunions, qui ont enfin permis de cerner les véritables enjeux fixés par le Gouvernement.

CNCPH

-De quelques principes d’une société inclusive

Une société inclusive est une société qui reconnaît à tout un chacun des droits identiques dont celui d’habiter chez soi et dans la cité. Elle fait de plus référence à la liberté de chacun de pouvoir choisir son mode et son lieu de vie et prend nécessairement en compte l’ensemble des aspirations et des besoins de tous et tout particulièrement de ceux qui ont  des besoins spécifiques.

-Un quota de logements accessibles est manifestement antinomique avec une Société inclusive

Le Gouvernement entend que soit réduit à 10 % le nombre à construire d’appartements en rez-de-chaussée ou desservis par ascenseur disposant d’une « unité de vie » accessible sans travaux  et que soit créée une définition réglementaire du logement évolutif.[1]

Ceci signifie que 90 % des appartements qui, selon la réglementation actuelle, devant disposer d’une « unité de vie » accessible sans travaux, seraient dispensés dorénavant de cette obligation au prétexte que ces appartements devraient être « évolutifs », alors même que le Gouvernement n’explique pas pour le moment comment cette évolutivité pourrait concrètement se définir au plan technique.

Une obligation de quota de logements accessibles contreviendrait aux principes même d’une société inclusive. Elle aurait pour effet d’assigner une partie de la population à des lieux non choisis, si tant est qu’ils soient conformes à leurs desseins et projets de vie.

Le projet gouvernemental d’annuler les quelques avancées en matière d’accessibilité des logements, via le rétablissement de quotas bannis par le législateur de 1975 précisément en raison de la ségrégation induite par cette conception, ainsi que l’inefficacité et le caractère ingérable d’un tel dispositif, ne pourra qu’aggraver les situations vécues au quotidien par la population dite handicapée et les personnes âgées.

En outre, le projet ne répond pas  aux situations auxquelles sont confrontées les personnes, telles que :

  • une offre de logements accessibles dramatiquement insuffisante,
  • un accès au logement social n’aboutissant au mieux qu’après de longues années,
  • une difficile concordance entre une demande éligible et un logement accessible disponible,
  • un nombre infinitésimal d’appartements dits « adaptés », rescapés des années 60 et 70 après la destruction des tours et des barres devenues insalubres,
  • un recensement quasi inexistant, peu fiable, et inefficace,

Au surplus, la notion de quota s’inscrit doublement en contradiction avec le contexte démographique en devenir, et avec certaines politiques publiques pour les raisons suivantes :

  • l’augmentation en âge de la population entraînera bientôt l’exigence d’une hausse significative du nombre de logements accessibles pour satisfaire le maintien à domicile des personnes vieillissantes en perte d’autonomie,
  • le taux de prévalence du handicap est de 15% de toute population selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et les plus de 65 ans représenteront près de 25% de la population française d’ici une dizaine d’années selon l’INSEE,
  • la rapporteure spéciale des Nations Unies rappelle que « les personnes handicapées, y compris celles nécessitant un fort accompagnement, doivent pouvoir vivre en société et choisir elles-mêmes leur lieu et mode de résidence. »
  • la Secrétaire d’État aux personnes handicapées veut promouvoir la transformation de l’offre médico-sociale telle que le requiert la Convention internationale des Droits des personnes handicapées que la France a ratifiée, à savoir que « les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient obligées de vivre dans un milieu de vie particulier » (Article 19).
  • la Ministre de la Santé veut atteindre un taux de 66% d’hospitalisation ambulatoire d’ici 2020,

et de surcroît :

  • la France perd du stock de logements accessibles depuis plusieurs années car la tendance des PLU (Plans Locaux d’Urbanisme) conduit à construire plus d’immeubles en R+3, et moins en R+4, niveau qui déclenche l’obligation d’ascenseur et d’accessibilité des logements.

-La conception des logements doit évoluer

Ainsi que nous le vivons tous individuellement, les conditions et les situations de vie des françaises et français ont évolué, évoluent et évolueront.

Aujourd’hui, une large majorité d’acteurs du logement que la commission accessibilité et conception universelle du CNCPH a rencontré, pense qu’un logement qui s’adapte à ces évolutions des modes et situations de vie est souhaitable et techniquement réalisable.

Il s’agit par conséquent de faire vivre le principe de la « conception universelle », tel que nous y invite la Convention internationale des Droits des personnes handicapées, à savoir promouvoir « la conception de produits, d’équipements, de programmes et de services qui puissent être utilisés par tous, dans toute la mesure du possible, sans nécessiter ni adaptation, ni conception spéciale » (Article 2).

La notion de conception universelle ainsi que les évolutions sociales qui ont profondément fait irruption ces dernières années, nous invite donc à appréhender la question du logement évolutif comme une réponse à différents modes de vie et de situations parmi lesquels :

  • les différentes situations liées au handicap et au vieillissement que rencontre la population autour et au sein du logement,
  • le retour d’adultes chez leurs parents en raison de divorce et/ou de paupérisation,
  • l’accueil de proches aînés, qui ne peuvent plus vivre seuls et qui ne souhaitent pas vivre en institution,
  • les besoins de reconfiguration de l’espace des familles recomposées pour l’accueil des enfants de chacun des conjoints en fonction des différents modes de garde,

A ces constats, il faut ajouter le contexte de très forte incertitude qui entoure la notion de « logement évolutif » puisque pour le moment, le Gouvernement n’a pas émis de définition sur la faisabilité technique et la prise en charge des coûts.

Par ailleurs, le CNCPH invite l’ensemble des acteurs concernés par la loi ELAN à appréhender le logement sous l’angle de l’habitat dans la mesure où habiter signifie être logé mais aussi pouvoir entrer en relation avec ses voisins, pouvoir se déplacer dans le quartier, utiliser les services à proximité, faire des achats, inviter, etc.

Par conséquent, le choix d’implantation des programmes de logements prenant en compte les critères environnementaux (accès aux services publics, aux commerces, aux transports, aux services, etc.) ainsi que la reconnaissance des usages de tous les habitants, sont des critères indispensables pour permettre à tous de se sentir chez soi et de permettre la participation de chacun à la vie de la Cité.

Le CNCPH est résolument optimiste quant à la capacité d’innovation des professionnels du bâti pour faire émerger et promouvoir des solutions techniques qui soient socialement et économiquement acceptables, et tels que certains en ont déjà apporté le témoignage.

En conséquence, afin de véritablement répondre aux enjeux sociaux dépendants de l’accessibilité, le CNCPH demande à ce que le projet de loi « ELAN », tout à la fois :

– définisse le logement accessible comme étant un logement desservi par un cheminement accessible depuis la voirie publique et dans lequel une personne à mobilité réduite accédera à l’ensemble des pièces sans travaux préalables.

– définisse le logement « évolutif » comme un logement « disposant d’une unité de vie accessible »  sans travaux préalables, dont le gros-œuvre (étanchéité de la salle d’eau par siphon de sol, accès balcon) autorisera techniquement les adaptations et tous les travaux de second-œuvre permettant de répondre aux besoins spécifiques d’un de ses occupants en situation de handicap dont ceux à mobilité réduite (redistribution des volumes en intervenant sur les cloisons et les portes intérieures, y compris en modifiant la typologie originelle du logement, automatisation possible des équipements),

– abandonne toute notion de quota de logements accessibles,

– accroisse l’offre de logements accessibles en abaissant à R+3 l’obligation d’ascenseur,

prévoit la conception de logements permettant la reconfiguration d’espace      accessible et habitable notamment aux personnes en situation de handicap, aux personnes âgées, aux personnes qui reviennent d’hospitalisations, aux proches aînés accueillis dans la famille et aux familles recomposées pour assurer convenablement les modes de garde des enfants de chaque conjoint,

– élargisse la notion « d’évolutivité » aux logements non accessibles en prévoyant l’étanchéité des salles d’eau par siphon de sol (Exemple d’une personne atteinte d’un AVC dans un logement ni en RDC, ni desservi par ascenseur dans lequel la personne souhaite rester y vivre en transformation sa baignoire en douche),

– donne priorité aux personnes en situation de handicap pour l’attribution d’un logement évolutif, et adapte le plus rapidement possible celui-ci aux besoins du locataire,

– définisse, hors locataires, les financeurs et la nature des financements  des travaux d’adaptation du logement évolutif,

– commande la correction des erreurs manifestes de la réglementation en vigueur (escaliers non conformes aux règles de l’art et de sécurité,  révision du concept d’espace de manœuvre de porte).

appréhende et présente la loi ELAN sous l’angle de l’habitat,

– intègre des critères environnementaux (accès aux services publics, aux    commerces, à différents modes de transports, etc.) dans le choix d’implantation des programmes d’immeubles,

– intègre l’accessibilité aux toilettes dans les TMA (Travaux Modificatifs Acquéreurs), tel que cela avait été prévu lors des réunions de concertation sur les ajustements normatifs de fin 2013 – début 2014.

 

[1]             Voir l’article 17 de l’avant-projet de loi ELAN

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